Réaction Tissulaire / Brûlure – Publication ASN Juillet 2011
Le 8 juillet 2011
Risques d'expositionsRéaction Tissulaire / Brûlure
Publication ASN Juillet 2011
Cas clinique : survenue d’une réaction tissulaire indésirable en radiologie vasculaire interventionnelle
L’analyse repose sur le cas d’un patient de 65 ans présentant une cirrhose hépatique d’origine exogène sevrée avec un score de gravité modéré. Il s’agit d’un patient pléthorique (105 Kg) avec une obésité androïde (portant particulièrement sur l’abdomen). La cirrhose s’accompagne d’une hyperactivité de la rate (hypersplénisme) avec forte augmentation la taille et associée à une thrombopénie. Elle est suspecte d’une complication tumorale ayant conduit à la réalisation d’un scanner abdominal en 2008.
Ce scanner (Image 1) ne confirme pas la lésion hépatique maligne, retrouve une rate de très grande taille, et surtout permet la découverte de volumineux anévrismes artériels sur l’arcade gastroduodénale, branche collatérale de l’artère hépatique communicant avec l’artère mésentérique supérieure (vascularisant le tube digestif). Il existe de plus un amas de varices “spléno-rénales”, liées à l’augmentation de pression dans le système veineux porte secondaire à la cirrhose.
L’analyse des images dans les trois plans de l’espace (Image 2) montre qu’il existe un ligament arqué (croisement des fibres musculo-tendineuses du diaphragme en avant de l’aorte) sténosant sévèrement le tronc cœliaque (à l’origine des artères hépatique et splénique). La vascularisation de la rate en hyperactivité se fait donc via l’arcade gastroduodénale très dilatée (12 mm de diamètre moyen vs 4 à 5 mm normalement) et sur laquelle se sont développés 4 anévrismes de 3 à 5 cm de diamètre du fait de l’hyper débit. La présence de ces volumineux anévrismes intra péritonéaux qui risquent de se rompre fait courir un risque vital au patient. Le dossier est discuté en réunion de chirurgie vasculaire dans l’intention de libérer le tronc cœliaque et de fermer les anévrismes chirurgicalement. Cependant l’existence d’une cirrhose avec thrombopénie et surtout la présence de varices dans l’espace spléno-rénal constituent une contre-indication formelle au geste chirurgical. La libération du tronc cœliaque par angioplastie est discutée mais il est reconnu que le stenting ne résiste pas dans le temps à la pression des fibres diaphragmatiques [10]. La surveillance montre une augmentation de la taille des anévrismes et donc du risque de rupture.
Après une nouvelle discussion en réunion de concertation multidisciplinaire, il est finalement proposé une libération endovasculaire du tronc cœliaque puis une fermeture des anévrismes par embolisation.
L’embolisation est organisée six jours plus tard (Image 4). Un stent de protection est placé à l’origine de l’artère mésentérique supérieure puis un grand nombre de coils (spirales métalliques) sont déposés dans l’arcade gastroduodénale par les deux accès mésentérique supérieur et cœliaque. Les praticiens rencontrent les mêmes difficultés de cathétérisme et de qualité d’image. L’hyper débit majeur dans l’arcade gastro- duodénale ne permet finalement pas à l’ensemble du matériel utilisé de fermer convenablement l’arcade gastroduodénale et les anévrismes. La procédure est interrompue après 5 heures, dont 152 minutes de scopie et 16 acquisitions dynamiques en graphie.
Le patient ressent une brûlure assez brutale 33 jours après la procédure. Dans les jours qui suivent va apparaître une large plage d’érythème vésiculeux (Image 5) pour laquelle le diagnostic de radiodermite sera rapidement porté. Le protocole de prise en charge implique d’emblée la consultation avec un dermatologue et la déclaration obligatoire à l’ASN. Le patient est vu pour expertise par le directeur de la Direction de la radioprotection de l’homme (DRPH) de l’IRSN (Pr P. Gourmelon) le 20 janvier. L’image 5 montre les lésions cutanées à 58 (5a) et 67 jours (5b) de l’exposition. L’image 6 (Pr P. Gourmelon) montre l’évolution de la brûlure radiologique du 67e au 83e jour.
A l’aide de mesures réalisées sur un patient de corpulence équivalente et sur la base du nombre d’images réalisées en graphie et des temps de scopie (l’installation ne dispose pas d’indicateur dosimétrique et ne permet pas l’enregistrement des paramètres de réalisation des images), les experts de l’IRSN ont pu évaluer les doses reçues par le patient lors des deux interventions rapprochées avec une incertitude minimale estimée à +/- 15 %. La dose reçue à la peau est ainsi évaluée entre 17 et 23 Gy au niveau de la zone la plus exposée. La dermite desquamative humide présentée par le patient et le délai d’apparition sont conformes aux doses estimées [11].
Comme le montre souvent l’analyse d’accidents graves, on retrouve de multiples facteurs explicatifs dont le cumul conduit à une conclusion tragique : des facteurs liés au morphotype du patient, à sa pathologie complexe et à une anatomie responsable d’un accès difficile, entraînant des interventions prolongées ; la concentration des opérateurs et de l’équipe sur un geste particulièrement difficile avec un pronostic vital engagé, mettant au second plan la surveillance de la dosimétrie ; enfin l’ancienneté de l’installation ne permettant pas un contrôle optimal de la dose.
La grande difficulté de cathétérisme (navigation) du tronc cœliaque sténosé et la mauvaise qualité de l’imagerie de contrôle (scopie) du fait du morphotype du patient ont par eux-mêmes nécessité une durée de scopie conséquente avant même la mise en place des coils.
La sténose serrée du tronc cœliaque et la nécessité de couvrir l’accès mésentérique supérieur par un stent (présence d’un large anévrisme au contact) n’ont permis le cathétérisme de l’arcade gastroduodénale que par du matériel de petit calibre.
Or le calibre anormalement important de l’arcade gastroduodénale et la taille des anévrismes auraient nécessité la mise en place d’agents d’embolisation de gros calibre pour une efficacité optimale. De plus, l’hyper débit majeur dans cette arcade gastroduodénale n’a pas permis aux coils utilisés d’assurer une thrombose complète et rapide. De nombreux coils ont dû être déposés, prolongeant l‘intervention. L’incidence de travail utilisée, centrée sur la zone d’intérêt, seule à permettre une visualisation optimale des lésions, n’a pratiquement pas varié pendant toute la durée de l’intervention.
Enfin tout au long de la procédure la mauvaise qualité de l’imagerie en scopie, due au morphotype du patient, conduit de plus à la réalisation d’un nombre important d’acquisitions en graphie pour contrôler les différents temps de l’intervention.
L’intervention se prolongeant, la fatigue et le stress liés à la difficulté technique et à la situation dangereuse pour le patient ont concentré l’attention des opérateurs et de l’équipe paramédicale sur la nécessité de trouver le matériel adapté permettant de faire face aux difficultés, la prise en compte d’éléments non essentiels à la conduite de l’intervention (dont la dosimétrie) passant au second plan.
L’installation radiologique utilisée, ancienne, est équipée d’un système de filtration du faisceau de rayonnement mais sans filtration additionnelle (cuivre ou aluminium) qui permet de filtrer les rayons X de basse énergie (qui constituent l’essentiel des rayonnements toxiques à la peau).
A l’exception d’une minuterie programmée sur 5 minutes et remise à 0 par le manipulateur, l’installation n’est pas équipée de chambre d’ionisation permettant de renseigner sur la dose délivrée au patient. Le temps total de scopie n’est comptabilisé qu’en fin de procédure par la machine, il n’est pas accessible en temps réel lors de la procédure. Lors de ces interventions longues, la minuterie a été remise à zéro de nombreuses fois sans que les opérateurs en soient informés. Le temps de scopie n’a été comptabilisé qu’en fin de procédure.
Ainsi la dangerosité de la situation clinique, le cumul de difficultés techniques, la très grande concentration demandée durant toute l’intervention aux opérateurs et l’ancienneté de l’installation ont-ils conduit à un temps d’intervention et une exposition au rayonnement aussi exceptionnels qu’excessifs, l’absence de filtration additionnelle ne permettant pas, de plus, d’exclure le rayonnement de basse énergie, inutile et toxique.
Source ASN 2011 – Magazine contrôle n°192 – Juillet 2011
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