Cas d’étude pour la conception d’une cabine utile à l’accueil d’un accélérateur de particules émettant des électrons et diffusant des rayonnements X de haute énergie (de 4 à 10 MeV)
Le 8 novembre 2024
industrieRadioprotection médicaleCas d’étude pour la conception d’une cabine utile à l’accueil d’un accélérateur de particules émettant des électrons et diffusant des rayonnements X de haute énergie (de 4 à 10 MeV)
Pour dimensionner une cabine accueillant un accélérateur de particules linéaire émettant des électrons de haute énergie ( 4 à 10 MeV), il est essentiel de s’assurer que le blindage de l’enceinte auto-protégée réduit efficacement les rayonnements β, X et Ɣ à l’extérieur de la cabine pour garantir la sécurité du personnel.
Au titre de la radioprotection au travail, l’objectif cet exemple d’étude est de maintenir une dose de rayonnement inférieure à 80 µSv par mois par individus (soit 960 µSv par an) à l’extérieur, en respectant les normes de radioprotection pour les locaux.
1. Analyse des paramètres de conception
1.1 Nature du rayonnements
Les électrons de haute énergie génèrent des rayonnements secondaires comme les rayons X et Ɣ par effet de freinage lorsqu’ils interagissent avec les matériaux de la structure de l’accélérateur.
Les rayonnements X seront majoritairement produits dans les gammes de 1 MeV à 10 MeV, avec un flux de photons X et Ɣ nécessite un blindage spécifique.
Prenons le cas d’un accélérateur d’électrons de 10 MeV bombardant une cible de tungstène.
- Rayonnement de freinage (Bremsstrahlung) : Représente la part majeure de l’énergie libérée, jusqu’à 90 % de l’énergie de l’électron incident peut être convertie en rayons X et gamma. La proportion exacte dépend de l’épaisseur et du matériau de la cible.
- Fluorescence X : Bien que les photons X caractéristiques du tungstène soient produits à environ 59 keV, ils représentent une plus petite fraction de l’énergie totale émise (souvent autour de 1 à 5 %) car ils sont le produit des réarrangements électroniques suivant l’interaction primaire.
- Conversion interne et autres émissions gamma : La proportion est plus faible, souvent négligeable comparée au Bremsstrahlung, mais reste significative dans le cas des matériaux à numéro atomique élevé comme le plomb et le tungstène. Les rayons gamma sont produits avec des énergies qui peuvent dépasser 100 keV en fonction de l’énergie initiale des électrons.
Dans notre cas d’études, nous considérons donc que la conversion de l’énergie incidente en rayonnement est dominée par le rayonnement de freinage.
1.2 Objectif de dose et règles de conception
La conception de la cabine doit respecter l’objectif réglementaire d’une exposition maximale de 80 µSv par mois par personne à l’extérieur, pour considérer la zone radiologique de travail comme non-délimitée ( anciennement non-réglementée).
2. Choix des matériaux pour le blindage
Pour des électrons de haute énergie et les rayons X produits :
– Plomb : efficace contre les rayons X, idéal pour des énergies allant jusqu’à plusieurs MeV.
– Béton : utilisé pour les parois, il permet d’absorber efficacement les photons durs.
– Acier : souvent combiné avec le plomb ou le béton pour ajouter une couche de protection supplémentaire.
3. Calcul du blindage nécessaire
3.1 Coefficient de Demi-Atténuation x1/2
Le coefficient de demi-atténuation d’un matériau permet de déterminer l’épaisseur nécessaire pour réduire l’intensité moitié du rayonnement à l’oeuvre et à l’étude.
Le coefficient de demi-atténuation x1/2 est une valeur importante pour déterminer l’épaisseur de matériau nécessaire pour réduire l’intensité d’un rayonnement à la moitié de sa valeur initiale.
Lorsqu’on travaille avec un rayonnement X de haute énergie, l’épaisseur de demi-atténuation est particulièrement pertinente pour le dimensionnement des protections radiologiques.
Définitions et Formule
Le coefficient de demi-atténuation est basé sur la loi d’atténuation exponentielle pour les rayonnements ionisants traversant un matériau.
Cette loi stipule que l’intensité ( I ) du rayonnement après une épaisseur ( x ) est donnée par :
I = I0⋅e−μx
où :
- I0 est l’intensité initiale du rayonnement,
- μ est le coefficient d’atténuation linéique du matériau (dépendant de l’énergie du rayonnement et du type de matériau),
- x est l’épaisseur du matériau traversé.
L’épaisseur de demi-atténuation, notée x1/2 , est l’épaisseur nécessaire pour réduire l’intensité du rayonnement à 50 % de sa valeur initiale. Cela se traduit par :
En réarrangeant cette expression en termes de μ\mu, nous obtenons la relation entre μ et x1/2 :
x1/2
où ln(2) ≈ 0.693
Voici quelques valeurs approximatives de demi-atténuation pour le plomb et le béton en fonction de l’énergie des rayons X :
– Plomb :
– 1 MeV : x1/2 ≅ 0,5 cm
– 5 MeV : x1/2 ≅ 1,1 cm
– 10 MeV : x1/2 ≅ 1,7 cm
– Béton :
– 1 MeV : x1/2 ≅ 5 cm
– 5 MeV : x1/2 ≅ 10 cm
– 10 MeV : x1/2 ≅ 14 cm
3.2 Calcul de l’Épaisseur Totale de Blindage
Pour une dose initiale de rayonnement intense, disons de l’ordre de 1 Sv/h à la source, nous visons une réduction suffisante pour atteindre 80 µSv/mois, ce qui équivaut à 2.7 µSv/h pour une journée de 8 heures, 20 jours par mois.
L’atténuation nécessaire est de :
N = ln ( I / I0 ) / ln ( 0.5 )
où :
- est le niveau de dose souhaité ( 2,7 µSv/h ),
- I0 est la dose initiale ( 1 Sv/h ).
N = [ ln ( 2.7 × 10−6 ) − ln ( 1 ) ] / ln ( 0.5 ) ≈ 18,5
Cela nécessite environ 19 couches de demi-atténuation.
3.3 Exemple de calcul d’épaisseur de blindage en Plomb pour des rayonnements X d’énergie équivalente à 5 MeV
Pour des électrons produisant des rayons X de haut énergie équivalent à 5 MeV, la demi-atténuation du plomb est x1/2 ≈ 1,1 cm.
L’épaisseur totale de plomb nécessaire est alors :
x = N × x1/2 = 19 × 1.1 ≈ 20.9 cm
Ainsi, 21 cm de plomb sont nécessaires pour garantir la protection.
3.4 Exemple de calcul d’épaisseur de blindage en Béton pour des rayonnements X d’énergie équivalente à 5 MeV
Pour un usage du béton, x1/2 ≈ 10 cm avec des particules photonique d’énergie équivalente à 5 MeV.
L’épaisseur totale sera alors :
x = N × x1/2 = 19 ×10 ≈ 190cm
Environ 1,9 mètre de béton est donc nécessaire pour obtenir une protection similaire avec ce matériau.
4. Structure de la Cabine
4.1 Disposition des Parois
La cabine doit être conçue de façon à minimiser les fuites de rayonnement, notamment au niveau des coins et des jonctions. Les parois doivent être continues et suffisamment épaisses pour éviter les « points faibles » :
– Portes plombées : avec une épaisseur équivalente aux parois pour les zones d’accès.
– Fenêtres de visualisation (optionnelles) : si nécessaires, elles doivent être faites de verre au plomb d’une épaisseur adaptée.
4.2 Combinaison de Matériaux
Une combinaison de béton et de plomb peut être utilisée pour limiter l’épaisseur des parois en optimisant la densité de chaque matériau.
Par exemple, une paroi en béton de 1 m peut être renforcée par une plaque de plomb de 10 cm pour obtenir une atténuation adéquate sans une épaisseur totale excessive.
5. Gestion de l’Aération
Les rayons X et les rayonnements secondaires (rayonnement de freinage ou Bremsstrahlung) émis lorsque les électrons frappent la cible ionisent l’oxygène présent dans l’air.
Ces ions d’oxygène peuvent ensuite se recombiner pour former de l’ozone (O₃). L’ozone est un gaz irritant pour les voies respiratoires et toxique à des concentrations élevées. Une ventilation adéquate est essentielle pour éviter l’accumulation de ce gaz dans la cabine.
Le rayonnement de freinage produit des rayons Ɣ de haute énergie, qui peuvent aussi activer certains éléments présents dans l’air, ou des matériaux présent au sein de la cabine, générant des gaz radioactifs :
- Activation de l’argon : L’air contient de l’argon (Ar), qui peut être activé par les rayonnements gamma pour former de l’argon-41 (Ar41) , un isotope radioactif émettant des rayons gamma.
- Formation de tritium : Dans certains cas, des neutrons secondaires peuvent être produits (bien que rare avec des électrons de haute énergie). Ces neutrons peuvent interagir avec l’azote ou l’oxygène pour générer du tritium (H₃), un isotope radioactif de l’hydrogène.
- Caractéristiques et risques : Les gaz radioactifs comme l’argon-41 sont peu fréquents, mais leur émission est à surveiller en fonction de l’énergie et du type d’interaction.
Il peut entraîner aussi la libération de gaz plus volatils. Par exemple :
- Composés organiques volatils (COV) : Si des composants organiques sont présents dans l’enceinte, comme des lubrifiants ou des isolants en plastique, des produits de dégradation peuvent inclure des gaz organiques tels que acétone, méthane ou formaldéhyde.
- Gaz issus de l’air : Si l’air de la cabine est chauffé ou ionisé par le rayonnement, cela pourrait induire la formation de traces de gaz supplémentaires comme oxydes d’azote (NOₓ)
La présence de tels gaz nécessite un contrôle permanent et strict des niveaux de radioactivité dans la cabine.
C’est pourquoi, une ventilation appropriée est indispensable pour maintenir la qualité de l’air et éliminer les particules activées.
Les critères sont :
– Débit de renouvellement d’air : suffisant pour diluer les gaz émis, en accord avec les normes de radioprotection.
– Filtration et extraction : systèmes de filtres HEPA et de charbon actif pour la captation des particules et des gaz activés.
– Rejet sécurisé : via des conduits blindés pour éviter toute contamination des zones environnantes.
6. Surveillance et Maintenance
Des systèmes de surveillance doivent être installés pour assurer la sécurité continue de la cabine :
– Dosimètres fixes : placés à différents points autour de la cabine pour détecter toute fuite de rayonnement.
– Contrôle des parois : vérifications régulières pour s’assurer que le blindage conserve son intégrité.
– Maintenance de la ventilation : nettoyage régulier des filtres et inspection des conduits d’extraction.
Conclusion
Cette étude fournit un cadre détaillé pour dimensionner une cabine accueillant un accélérateur de particules émettant des électrons de haute énergie, avec une exposition extérieure inférieure à 80 µSv/mois.
En utilisant des matériaux denses comme le plomb et le béton pour le blindage, en assurant une ventilation adéquate et en surveillant continuellement les niveaux de rayonnement, cette cabine garantit un environnement de travail sûr et conforme aux normes de radioprotection.
Christophe NAVARRO, Auteur
radiophysicien et radioprotectionniste
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Principales références documentaires :
1. Normes et Réglementations Internationales
- IAEA (International Atomic Energy Agency) – Radiation Protection and Safety of Radiation Sources: International Basic Safety Standards (GSR Part 3)
- Fournit des lignes directrices internationales sur la sécurité en matière de radioprotection, ainsi que les critères de zonage et les limites de dose pour les travailleurs et le public.
- ICRP (International Commission on Radiological Protection) – Publication 103, The 2007 Recommendations of the International Commission on Radiological Protection
- Offre des recommandations sur les limites de dose, les coefficients de conversion et les principes de radioprotection.
- ISO 4037 – X and Gamma Reference Radiation for Calibrating Dosemeters and Doserate Meters and for Determining their Response as a Function of Photon Energy
- Spécifie les conditions de référence pour la mesure des rayonnements X et gamma, y compris des informations sur les matériaux d’atténuation et les épaisseurs de demi-atténuation.
2. Tables de Coefficients d’Atténuation et Bases de Données
- NIST (National Institute of Standards and Technology) – X-Ray Attenuation and Absorption for Materials of Dosimetric Interest
- Le NIST propose une base de données pour les coefficients d’atténuation linéique ( μ ) et massique, couvrant une large gamme de matériaux et d’énergies. Ces valeurs sont essentielles pour déterminer l’épaisseur de demi-atténuation pour des rayonnements de haute énergie.
- ICRU (International Commission on Radiation Units and Measurements) – Report 44, Tissue Substitutes in Radiation Dosimetry and Measurement
- Contient des informations sur les coefficients d’atténuation massique pour divers matériaux, y compris ceux utilisés dans les dispositifs de protection radiologique.
- Berger et Hubbell – XCOM: Photon Cross Sections Database
- Une base de données bien établie qui fournit les sections efficaces de diffusion des photons pour une grande variété de matériaux, y compris le plomb et le béton. Ces données sont disponibles en ligne via le site du NIST.
3. Littérature Technique et Manuels de Radioprotection
- Attix, F.H. – Introduction to Radiological Physics and Radiation Dosimetry
- Ce manuel donne des bases théoriques solides sur les principes de la dosimétrie, y compris les lois d’atténuation et les calculs d’épaisseur de demi-atténuation pour différents types de matériaux.
- Knoll, G.F. – Radiation Detection and Measurement
- Un livre de référence sur la détection des radiations, avec des informations détaillées sur les interactions des rayonnements avec la matière et les matériaux de protection.
- Martin, A., et al. – An Introduction to Radiation Protection
- Fournit un aperçu pratique de la radioprotection et aborde des concepts de base pour le calcul d’atténuation et le zonage en radioprotection.
4. Codes de Calcul et Logiciels de Simulation
- MCNP (Monte Carlo N-Particle Transport Code) : logiciel de simulation de rayonnements permet de modéliser les interactions des particules avec des matériaux. Il est largement utilisé pour le calcul de protection et le dimensionnement des barrières.
- PHITS (Particle and Heavy Ion Transport code System) : Un autre logiciel de simulation Monte Carlo utilisé pour les calculs d’atténuation et les études de protection contre les radiations dans des environnements complexes.
5. Réglementations Nationales
- Code de la Santé Publique (France) – Décret n°2018-437 relatif à la radioprotectionEn France, cette réglementation donne des détails sur les limites de dose et les règles de conception des installations de radioprotection.
- ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) – Guide de radioprotection pour les installations de radiodiagnostic et de radiothérapie, En complément des décrets, l’ASN publie des guides pratiques pour le calcul de protection et les spécifications des matériaux.
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